Participation au blog littéraire
« La Tempête dans un encrier »
Novembre 2009
Lorsque je m’arrêtais à une devanture et que j’achetais
un bracelet, j’exprimais le drame
de la dépendance et de l’esclavage de la femme. Dans le petit théâtre obscur de mon inconscient,
le dénouement était l’achat d’un bracelet. D’après Rank, je n’étais pas séduite par sa couleur, sa forme
ni sa matière, par mon amour de l’ornement. C’était beaucoup plus dramatique que cela ! […] Rien n’était insignifiant. J’étais retournée au même endroit et j’avais acheté
un second bracelet. Pourquoi cela ? Il m’arrivait souvent d’acheter deux de quelque chose qui me plaisait.
Je sentais le danger de la perte.
Je voulais me prémunir contre
la perte d’une robe que j’aimais et qui pourrait s’user, la perte d’une sandale d’un modèle unique que
je ne retrouverais peut-être jamais. Mais deux bracelets. Dualité ?
Deux amours ? L’un représentant
la femme qui voulait être mise
en esclavage (bracelet d’esclave),
le second pour retenir celui que j’aimais, l’autre ? Allais-je les mettre ensemble, comme des jumeaux,
ou allais-je en conserver un
en prévision d’une perte possible
ou allais-je donner le bracelet
assorti à quelqu’un d’autre.
Rien n’était insignifiant.
Journal 2, 1934-1939, Anaïs Nin,
p. 67, 68-69
© Claire Le Cam, 2021